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PARTIE 1

À quelques centaines de mètres sous-terre, dans un tunnel froid et étroit, des coups de pioche brisaient le silence. La lampe sur le front du jeune homme projetait un cône de lumière vacillant sur les parois suintantes.

Soudain, une alarme retentit:
— Oy vey! La journée de travail est terminée, ramenez les outils aux emplacements désignés avant de prendre votre repas.

Le jeune homme se redressa lentement. La voix synthétique à l'accent curieux résonnait dans les tunnels vides. Il prend la pioche à deux mains et se dirige hors du tunnel étroit. Après quelques minutes de marche, il se retrouve dans l'entrepôt à outils. Il déposa la pioche dans le râtelier métallique avec un clac sec, puis retira son casque, révélant un visage sale.

Un vieil homme au long nez s'approche, un petit cahier en main.
— Oy vey, numéro 877. Une pioche et un casque... C'est noté, shalom.

Débarrassé de ses outils, il se dirige vers la cantine. Une fois arrivé, il prend un plateau, un bol, et une cuillère. Un homme obèse au petit chapeau lui verse une louche de bouillie et lui fait signe d'aller s'asseoir.

Une voix familière l'appelle.
— Célestin ! Viens à cette table !

Il s'empresse d'aller à la table.
— Titouan, arrêtes de gueuler des prénoms sale mongolien, tu sais qu'ils n'aiment pas ça.
— Numéro 878, c'est dur à mémoriser.
— Je suis 877...
— Tu vois, c'est dur à mémoriser.

Célestin mange une cuillère de bouillie.
— Alors, t'as du nouveau Titouan ?
— Oh que oui, regarde moi ça.

Titouan sort un petit papier carré de sa poche.
— Olivier l'a dessiné, il est doué.
— Bordel je bande.
— Moi aussi frérot.

Sur le papier, une femme nue est illustrée.
— Ce cul... C'est sûr que c'est pas Keke. Tu veux quoi en échange ?
— Écoute Célestin, disons que tu me dois une faveur.
— Sale pédale, je suis pas homo.
— Non pas ce genre de faveur fils de pute.
— Ok ça marche, cimer chef.
il y a un mois
PARTIE 2

Célestin range discrètement le papier dans sa poche. Une alarme résonne dans la cantine.
— Oy vey! Retournez dans vos chambres.

Titouan lance un sourire.
— Bonne branlette Célestin.

Très vite, la cantine se vide, les deux jeunes hommes retournent dans leurs cellules.

La porte de la cellule de Célestin grince, il rentre et cache l'illustration sous le matelat. Il s’assoit un instant sur le bord du lit.

La trappe d’inspection coulisse et une paire d’yeux apparaît dans l’ouverture.
— Numéro 877 ? Vérification de présence.

Célestin se lève aussitôt, tendu comme une corde, le trou du cul serré. Il avance dans le cône de lumière projeté par la lampe torche de l’homme.
— Présent.

L’homme ne répond pas tout de suite. Il touche l’écran de sa tablette et un bip confirme l’enregistrement. Il referme la trappe puis les pas s’éloignent.

Célestin attend encore un moment, figé, les muscles tendus. Puis il retourne vers son lit. Il se penche pour attraper le petit papier sous le matelat.

Il s’allonge sans se couvrir, les yeux ouverts vers le plafond sale.

Cette nuit là, on pouvait entendre de sa cellule un rythme constant et de petits gémissements.
il y a un mois
PARTIE 3

Une alarme perce le silence des couloirs en béton.
— Oy vey! La journée de travail commence, récupérez vos outils avant de vous diriger vers votre tunnel assigné.

Célestin sait très bien ce qu'il se passe s'il ne se lève pas immédiatement, alors il saute de son lit et sort de sa cellule.

En marchant dans les couloirs, les autres travailleurs ont l'air distrait. Titouan approche.
— Célestin, t'as entendu ?
— Non quoi ?
— Olivier a disparu, il était pas dans sa cellule ce matin.
— Disparu ? Peut-être qu'il est en cellule d'isolement ?
— Non non, d'autres l'ont vu rentrer dans sa cellule hier soir, mais ce matin il était plus là.
— ... Comment c'est possible ?
— On sait pas, mais c'est louche.

Le silence pesant s’installe à nouveau dans le tunnel.

Célestin jette un dernier regard vers l’entrée de son tunnel, où les ombres s’étirent et se fondent dans la pénombre.
il y a un mois
PARTIE 4

La journée de travail s’était déroulée dans un silence épais, tout le monde ne pensait qu'à une chose: Olivier. Mais personne n’osait en parler à voix haute.

À la cantine, la bouillie avait un goût plus fade que d’habitude.

Célestin s’installe en face de Titouan.
— T’as rien entendu d’autre ? demande-t-il à voix basse.

Titouan secoue la tête.
— Juste des rumeurs. Certains disent qu’ils l’ont emmené par un tunnel qui est censé être condamné.
— Et toi tu crois quoi ?
— Je—

Une alarme retentit, coupant ses pensées :
— Oy vey! Retournez dans vos chambres. Inspection aléatoire ce soir. Coopérez pleinement.

Titouan lève les yeux, inquiet.
— Ils vont fouiller.

Célestin pensa immédiatement au dessin caché sous son matelas.
— Merde, murmura-t-il.
— Faut planquer tout ce que t’as, vite. On sait jamais jusqu’où ils vont fouiller.

Les deux garçons se levèrent sans finir leur repas.

Une fois dans sa cellule, Célestin referma la porte derrière lui et se précipita vers le lit. Il récupéra le papier et regarda un instant la silhouette nue, provoquant une demi-molle.

Il chercha un endroit plus sûr. Pas le matelas, trop évident. Il scruta la petite grille d’aération au-dessus de la cuvette en inox. Trop étroite. Finalement, il défit une dalle du sol qu’il avait déjà légèrement soulevée une fois pour y cacher un morceau de pain moisi. Il y glissa l’illustration.

À peine avait-il terminé que des bruits de bottes se rapprochèrent. Puis une voix grave:
— Inspection.

La porte s’ouvrit. Deux petits hommes entrèrent. Le premier scanna rapidement la pièce avec un appareil étrange. Le second s’approcha du lit, en soulevant les draps, le matelas, puis inspecta le dessous du lit avec une lampe.

Le scanner émit un bip. L’un des inspecteurs marqua quelque chose sur sa tablette.
— Numéro 877 : conforme.

Ils sortirent sans un mot de plus, et la porte se referma derrière eux.

Dans le couloir, on entendait déjà les premiers cris de ceux qui n'ont pas été aussi chanceux que Célestin.
il y a un mois
PARTIE 5

Le lendemain, alors que la journée de travail touchait à sa fin, une voix différente résonna dans les haut-parleurs.
— Numéro 877, restez sur place. Réaffectation temporaire. Maintenance en cours dans votre cellule.

Célestin s’arrêta net. Le surveillant le pointa du doigt, visière opaque sur le visage.
— Tu dors dans la 804 jusqu’à nouvel ordre.

Le cœur de Célestin se serra. La 804. La cellule qu’Olivier occupait avant de disparaître.

Il récupéra ses affaires — une cuillère trouée, une chemise de rechange sale, une boîte de bouillie périmée — et suivit le surveillant dans les couloirs.

La porte de la 804 coulissa dans un sifflement sec.
— Pas de grabuge, goyim. Inspection demain.

La porte se referma. Célestin était seul.

La cellule avait la même structure que les autres, mais l'air y était plus froid, plus dense. Quelque chose dans l’atmosphère mettait ses nerfs en alerte. Il balaya la pièce du regard. Rien d’anormal, jusqu’à ce que son regard tombe sur une dalle légèrement décalée sous le lit.

Il s’agenouilla. Souleva la dalle. Un carnet, glissé dans un sac en plastique sale, était dissimulé dans une cavité étroite.

Célestin le sortit avec précaution, essuya la poussière, et l’ouvrit.

Des pages jaunies. Une écriture fine. L’encre avait bavé, mais certains passages restaient lisibles.

« …plus ils nous isolent, plus je suis sûr. La surface existe. Je l’ai vue. Une lumière vraie, pas ces néons pourris. De l’air qui n’arrache pas les poumons. Une odeur de feuilles, de terre… »

« …par l’ascenseur 12, mais c’est risqué. Ils le surveillent. Pas tout le temps, je crois. Une fois par cycle, la routine se relâche. »

« …je ne suis pas fou. Je dois partir. S’ils trouvent ce carnet, ils sauront. Ils me feront disparaître comme les autres. »

La surface ? Une légende. Un mythe raconté par les anciens pour ne pas se flinguer. Et pourtant, ce texte suintait une authenticité glaçante. Olivier avait écrit ça. C’était sa main.
il y a un mois
PARTIE 6

Le lendemain, à la cantine, il s’assit face à Titouan.
— Il faut que je te montre un truc, souffla-t-il.

Sous la table, à l'abri des regards, il glissa le carnet à son ami. Titouan tourna quelques pages.
— C’est Olivier, ça ? C’est son écriture… Je reconnais ses "r" à la con.
— Il parle de la surface, chuchota Célestin. D’air pur. De lumière naturelle.

Titouan resta silencieux un instant. Puis il leva les yeux.
— C’était pas un taré… Tu crois que…
— Il a tenté quelque chose. Par l’ascenseur 12.

Titouan ferma le carnet, le tenant serré entre ses mains sales.
— Si c’est vrai… alors on se fait niquer depuis la naissance. Il y a un dehors, et on pourrit ici à creuser comme des cafards.

Un silence. Puis un sourire.
— Faut qu’on sache, souffla-t-il.

Célestin hocha la tête.
— On doit trouver cet ascenseur.
— T’as une idée d’où il est, cet ascenseur 12 ?
— Ouais. Le carnet dit qu’il est condamné. Mais j’ai déjà vu une porte verrouillée derrière l’ancien entrepôt à outils, là où plus personne va depuis l’éboulement de l’année dernière.
— On pourrait y aller pendant un changement de poste.

Célestin jeta un œil autour de lui. Les autres visages, sales et vides, semblaient figés dans une routine morte. Si la surface existait, aucun de ces gens ne le savait. Ou alors ils avaient oublié.
— Si on trouve cet ascenseur... et qu’il fonctionne encore…
— Alors on le prend, coupa Titouan. On monte.

Célestin sentit sa gorge se serrer. Il n’avait jamais envisagé quelque chose de plus grand que ce tunnel, cette cellule, ce cycle absurde.
— Et si c’est un piège ?
— Alors on crèvera. Mais en essayant.

Un silence. Puis Titouan reprit, plus bas :
— Demain. On se donne rendez-vous à la sortie du bloc C. Pendant le second appel. Y'a toujours un angle mort là-bas.
— T’as déjà fait ça ?
— Non. Mais Olivier si, apparemment.

Ils se regardèrent. Dans leurs yeux, pour la première fois, il n’y avait ni fatigue ni soumission.
il y a un mois
PARTIE 7

Le signal de fin de journée résonna dans les couloirs comme une cloche funèbre.
— Oy vey ! Ramenez les outils aux emplacements désignés avant de retourner dans vos cellules.

Célestin échangea un regard rapide avec Titouan alors qu’ils déposaient leurs pioches. Aucune parole. Juste un hochement de tête. C’était ce soir.

Au lieu de prendre la direction des cellules, ils bifurquèrent discrètement vers le bloc C, se fondant dans le flot des travailleurs qui traînaient les pieds. Puis, dans un virage sombre, ils glissèrent dans un renfoncement entre deux conduits de ventilation.

Titouan jeta un œil par-dessus son épaule.
— Personne.

Célestin et Titouan se tenaient devant la lourde porte de l’ascenseur 12, là où presque personne ne venait plus depuis l’éboulement de l’année précédente.
— C’est là, murmura Célestin.

La rouille courait le long des gonds, mais au centre, un panneau de commande brillait faiblement. Titouan avança.
— T’attends quoi ?

Célestin posa sa main sur le bouton. Il appuya.

Un grincement, d’abord lointain, puis plus fort. Des cliquetis métalliques. Des vibrations dans le sol. La porte se déverrouilla dans un claquement sourd.

Elle coulissa. Derrière, une cabine sale, intacte malgré les années. L’intérieur sentait la poussière et l’huile.

Titouan entra en premier.
— On le fait.
— On monte, répondit Célestin.

Pas de plans. Pas de réserves. Pas de retour.

La porte se referma derrière eux.

Un seul bouton, poussiéreux, marqué ▲. Titouan appuya sans hésiter.

L’ascenseur trembla puis commença à monter.

Lentement.

Ils se regardèrent.

Les parois de béton défilaient derrière la vitre sale.

Puis… plus rien. Juste le noir total.

Jusqu’à ce qu’une lumière apparaisse.

Titouan mit une main devant ses yeux. Célestin sentit une chaleur inconnue effleurer sa peau. Pas artificielle. Pas fluorescente.
— Bordel… c’est quoi ça…

La lumière devint aveuglante. Le plafond sembla fondre, s’évanouir dans un bleu pâle, immense.

Puis l’ascenseur s’arrêta.

Un dernier cliquetis.

La porte s’ouvrit lentement, et devant eux: le ciel.

Bleu, vaste, infini.

L’air entra dans leurs narines, chargé d’odeurs qui les enivrent.

Célestin sentit ses jambes trembler.
— On est dehors.

Le vent souffla. Léger, chaud.

Un monde s’étendait devant eux. Vaste et inconnu.
il y a un mois
PARTIE 8

Le ciel immense s’étalait au-dessus d’eux, promettant une liberté inimaginable.
Titouan marchait devant, ivre de joie, le visage levé vers la lumière.

Soudain, un bruit dans les buissons.

Une silhouette surgit, sauvage et menaçante. L’homme, à la peau couleur merde, bondit avec une férocité animale, couteau en main.
— Allah Akbar! Hamdoullilah! Ji vi te niquer!
— TITUAN ! cria Célestin, mais déjà la lame s’enfonçait dans le flanc de son ami.

Titouan tomba à genoux, le souffle court, le regard perdu.

Avant que Célestin ne puisse réagir, l’agresseur se jeta sur lui aussi, frappant sans pitié.

La douleur l’engloutit. Il sentit son corps s’effondrer, le sang chaud coulant sur ses mains.

Tout devint noir.

Célestin ouvrit lentement les yeux.

Un halo de lumière perçait l’obscurité.

Il était dans un tunnel. Le plafond bas, les murs humides, le froid… tout lui était étrangement familier, mais son esprit était vide, comme effacé.

Il se redressa, cherchant ses souvenirs. Rien. Pas de Titouan, pas de surface, pas de ciel.

Juste le bruit lointain d’une alarme:
— Oy vey! La journée de travail commence, récupérez vos outils avant de vous diriger vers votre tunnel assigné.
il y a un mois