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En ce début de l'an mille neuf-cent quarante-cinq, la guerre continue d'embraser le monde.
De Washington à Tokyo, de Oslo à Jakarta, cette dernière s'impose, omniprésente depuis cinq ans et plus, sur le terrain comme dans les esprits.
Cependant, cette aventure meurtrière, déclenchée par l'ambition et la témérité de l'humain, semble toucher à sa fin.
Le vainqueur commence à se distinguer du vaincu, chacun des deux camps sait désormais ce qui l'attend.
Et pourtant, malgré les pertes, la lassitude, les massacres, les échecs, malgré le spectre de la défaite qui s'approche à grands pas, le perdant poursuit la lutte.
Le vaincu meurt, mais ne se rend pas.
Surtout lorsqu'il vient du Japon.

Quelque part dans l'archipel des Philippines, alors que la contre-offensive américaine, irrésistible, triomphe un peu plus chaque jour, un officier nippon tente d'endiguer ce déferlement de bombes, de balles et de marines qui s'abat sur les restes de sa troupe, agonisante dans ses retranchements.

"Un-deux-un-deux.
Quartier Général de Manille ; Quartier Général de Manille, ici le poste de Lubang.
Le Jimmy débarque et attaque. Je répète le Jimmy débarque et attaque ; ennemi supérieur en nombre et matériel.
Rapport de force très défavorable ; le temps est contre nous. Nos positions seront débordées sous peu si rien n'est fait.
Demande de renforts pour rétablir la situation.
A vous."


La voix qui prononçait ces mots au microphone de la radio se voulait maîtresse d'elle-même ; son ton était animé, jusqu'à maintenant, par une gravité sérieuse et digne.
Seulement voilà, cela faisait plusieurs heures qu'elle récitait ce message. Un appel à l'aide qui tombait au sein du néant. Une tentative toutes les dix minutes, toujours sans réponse. Ainsi donc, la fatigue commence à apparaître, déformant certaines syllabes, puis quelques mots de ce lieutenant, qui continue de balancer ses phrases dans le vide.

"Deux-trois-deux-trois.
QG de Manille ; je répète QG de Manille répondez,
reprend-t-il de plus belle, tandis que sa main règle le bouton des fréquences radio,
Ici le poste de Lubang ; je répète le poste de Lubang."

Un soupir s'échappa de ses lèvres.
D'un coup, une explosion retentit.
Plusieurs coups de feu se font entendre.


Ici le poste de Lubang ; je répète le poste de Lubang... L'américain a débarqué ; l'américain nous attaque.
Pas assez d'hommes pour l'arrêter. Nous n'avons pas les moyens de le contenir ; je répète nous n'avons pas les moyens de le contenir.
Positions intenables dans peu de temps ; on va se faire déborder.
Je demande au moins un soutient aérien pour gagner quelques heures... Je répète, soutien aérien demandé sur Lubang.
A vous."


L'officier impérial n'avait décidément pas l'intention de céder face aux anglo-saxons. La casemate depuis laquelle il tentait de communiquer, enterrée dans le sol, faite de bois et de terre séchée, semblait lui procurer courage comme réconfort face à cette situation déplaisante.
Assis sur un tabouret, il restait suspendu devant son poste de communication, son casque radio aux oreilles enserrant sa casquette au feutre mou et foncé.
La sueur commençait tout de même à perler sur ses tempes ; elle laissait aussi des traces sur sa chemise kaki clair, portée en dessous d'une vareuse de coton sombre. S'il l'avait déboutonnée à cause de la chaleur tropicale, le japonais la laissait ouverte pour un tout autre motif: quelque chose qu'il s'efforçait de refouler au fond de lui-même...


"Une-deux-une-deux.
Quartier Général..."


Le lieutenant n'a pas le temps de terminer sa phrase. Ses pupilles se dilatent ; ses oreilles entendent un bruit, un son tout particulier.
Il bondit hors de son tabouret ; ses bottes impeccablement cirées le mènent vers la sortie de l'abri. En chemin, le voilà qui réajuste la sangle de cuir barrant son torse: elle soutient le fourreau de son sabre cérémoniel.
Au dehors, les tirs et explosions sont à peine audibles. Un vrombissement, voire plusieurs vrombissements les ont remplacés, juste au-dessus de sa tête.


"Mon soutient aérien, lâche-t-il à voix basse, presque soulagé d'un poids, On va commencer à sauver les meubles."

Un sifflement lui parvient soudain.

Puis plus rien du tout.

Le Noir.

Le Silence.

L'Eternité.

Sa main et son bras s'animent, parcourus par des tremblotements.
Son corps ; l'officier le sent, il le sent partout ; il a mal.
Ses jambes ; il a beau essayer, elles ne bougent plus.
Deux yeux en amande, deux paupières finissent par s'entrouvrir pesamment.
D'un côté, il aperçoit surtout du bleu. De l'autre, il n'y a que poussière et terre séchée.
Son esprit se brouille ; l'incohérence gagne ses pensées, traversées par un flot de souvenirs flous, de détails incompréhensibles, et de sentiments aussi douteux que contradictoires...

Jusqu'à ce que quelque chose résonne.
Des sons, des mots ; une phrase, prononcée par une voix lointaine, résonne dans les replis de son âme.


"Le poids du devoir est plus lourd qu'une montagne.
Celui de la mort est plus léger qu'une plume."



Le visage juvénile de l'officier se crispa. Ses poings se refermèrent, lentement. Il serra les dents.
L'Eternité, oui ; elle attendrait son tour...
il y a 9 mois
Oui
:Capuche_candyup:
il y a 9 mois
Une fic qualitative qu'il m'aurait fallu discerner bien plus vite
:chevalier_sueur:


L'auteur porte très bien son pseudo ma foi
:journal:
Cela arrivera
:Jesus_Christ:
il y a 9 mois
De la poussière, des planches éclatées, des blocs de terre grands comme ses jambes...
Le militaire est prit d'un toussotement. Il ne voit presque rien. Tant pis.
Ses bras se mettent de nouveau à bouger, péniblement. Au bout de quelques secondes, ses mains éraflées arrivent à se plaquer contre un morceau de glaise. Dans un mouvement assez lent, elles finissent par soulever le décombre.

Le ciel bleu réapparaît ; les coups sourds aussi.
Les doigts s'agrippent à une moitié de poutre.
Un grognement s'échappe des lèvres de l'officier.
Les gravats tremblent une fois de plus. Un bras après l'autre, une jambe après l'autre, son corps finit par s'extirper de ce tas.
Dés qu'il finit d'extraire son pied, le japonais cligne des yeux à plusieurs reprises, se passant les mains sur le visage pour y dégager la terre encore accrochée. Il sent à peine son cœur battre.
Son uniforme en lambeaux? Son sabre enseveli?
Peu importe. Là n'était pas la priorité.
Alors il se mit à genoux, voire à quatre pattes, au pied de cette casemate ruinée. Ses mains effleurèrent les bouts des décombres. Son regard tendu se porta tout autour de lui, recherchant vite un fusil, des cartouches, un pistolet ; n'importe quoi qui lui permettrait de se défendre.
Tandis que le grondement des armes se rapprochait, le lieutenant ne retrouvait que sa casquette, déchirée. L'étoile dorée qui ornait le centre avait disparu, seule une petite broche restait reliée au feutre mou.
Des débris de murs, de bois et de radio: voilà tout ce qui s'étend sous ses yeux.
La sueur remplace peu à peu la poussière sur le front de l'impérial.
Son esprit - encore sonné par le choc - n'aperçoit que la garde de son katana, dépassant entre deux tas de terre.
Il se relève, maladroitement, et dirige sa main vers cette arme désespérément symbolique. Alors des pas de course surgissent dans son dos.
Il se retourne brusquement ; un autre militaire fonce vers lui à toute vitesse, pour s'arrêter aussitôt ; le voilà qui se met au garde-à-vous dans la précipitation.


"Watashi no shiki-kan yo, soldat Yuichi Akatsu au rapport!

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La situation empirait à chaque seconde, et pourtant, le protocole se maintenait presque de lui-même ; comme un semblant de stabilité au milieu de ce chaos sanglant.

"Votre fusil soldat, passez-le moi, ordonna un lieutenant devenu sec, D'où venez-vous? enchaîna-t'il de suite après.

-J-je viens des... Yuichi, encore haletant, marqua une pause forcée, des premières lignes... mon commandant.

- Vous avez fui, reprit l'officier, alors que l'arme à feu lui était donnée.

Akatsu tressaillit à ces mots, faisant presque tomber le fusil au sol.

- N-non, non-non mon commandant, se défendit-il, Je me suis battu comme t-tout le monde!
Mais les américains sont trop nombreux ; ils nous ont submergés! Alors... je me suis replié."


Une explosion retentit d'un coup.
Le duo s'accroupit ; le lieutenant a les yeux rivés sur le fusil, s'assurant une dernière fois qu'il est bien chargé.

"Tout est perdu, marmonna le soldat, tournant sa tête vers la jungle qui les entourait.

Il reçut brutalement un coup de crosse dans le dos.

- Silence paniquard! intima l'officier impérial, Penser à la défaite c'est la provoquer! Que je ne vous y reprenne pas!"

Bousculé par terre, gémissant, Yuichi se tut pour de bon ; sa relève fut aussi pénible que silencieuse.
Jusqu'à ce que de nouveaux bruits surviennent entre les palmiers.
Le commandant leva soudain l'arme, en direction de la lisière.

"Teishi!! Qui va là! Halte!

- Nihongo! Ne tirez pas, ne-tirez-pas!! cria de suite le venant, caché par des feuilles qui s'agitaient de plus en plus.

- Qui êtes-vous? rétorqua le supérieur.

À peine eut-il finit sa phrase qu'un homme bondit hors de la végétation, fusil d'assaut en main, prêt à décharger une rafale sur lui. Mais ce dernier abaisse son arme dés que leurs regards se croisent.

"Kinshichi Kozuka, première classe à vos ordres!"

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J'arrive du camp mon commandant!"


Ce dernier, pendant une seconde, se mit à le dévisager. Kozuka allait de nouveau se bouger ; le regard du gradé l'arrêta net.

- Alors le campement est tombé, reprit le lieutenant ; sa voix, animée par une froideur étrange, semblait réduite au constat, C'est bien cela, première classe?

- Affirmatif, fit prudemment l'interrogé, reprenant sa marche, doucement, vers ce qui restait de la casemate.

- Vous êtes le seul survivant? renchérit l'officier.

Les pas de Kinshichi se firent plus pressés.

- Je ne sais pas mon commandant, finit-il par répondre, presque confus, J'ai été séparé de l'escouade par les combats ; les américains étaient partout. Je... Je ne sais pas ce qui leur est arrivé, s'ils sont encore vivants…

- Vous avez d’autres armes que celle-là? poursuivit le gradé, désignant d’un geste du menton le fusil de l’arrivant.

- Deux, trois grenades ; rien de plus, commandant.

- Donnez-en une au soldat, enchaîna le supérieur de fortune, calmement, Et mettez-vous à couvert.»

Une rafale de tirs détona dans leur direction.
Les trois rescapés réagirent comme un seul homme. Dos courbés, jambes fléchies, ils se précipitèrent derrière les ruines de l’abri, se jetant presque à plat ventre sur ses gravats.
Deux secondes passent ; Kozuka commence à escalader les décombres ; il cale sa mitraillette contre son épaule pour riposter.
Les lèvres du lieutenant s’ouvrent, voulant prononcer quelque chose. Le crépitement du fusil l’interrompt aussitôt.
Ce dernier bascule sur sa droite, et se hisse à son tour sur un rondin de bois. Sa tête dépasse légèrement, sa main se met en visière sur son front, ses yeux – grands ouverts - observent les environs à la recherche de l’ennemi.
Rien. Ils n’aperçoivent rien.
Le première classe quant à lui s’est débarrassé de son chargeur vide. Les sourcils du gradé se froncent à cet instant.

«Halte au feu! Halte! ordonne-t’il immédiatement.

- Qu’est-ce qu’on fait mon commandant? demanda le soldat Yuichi, dont la voix trahissait une tension grandissante.

- Vous avez la grenade? répliqua l’officier, vif, ne lâchant pas la jungle du regard.

- N-non.

- Première classe, poursuivit le gradé, son ton froid virant à l’acerbe, Qu’est-ce que je viens de dire.»

La réponse fut silencieuse. Kinshichi baissa la tête, sortit le petit explosif de sa poche, pour enfin le passer à la main tendue par Akatsu.

«Un ennemi à signaler?

- Aucun, commandant, grogna Kozuka.

Le première classe en était persuadé: les américains se trouvaient dans les parages, juste au-delà de la lisière. Mais il avait tiré dans le vide.
Et à aucun moment, pas coup de feu ne lui répondit.
La situation devenait à la fois étrange et frustrante ; les adversaires étaient là, presque parmi eux, mais on ne savait pas où ; la mort rôdait, mais ne frappait pas, pas encore.

Un bruit. Des bruits. De nouveaux sons parviennent aux oreilles du trio.
Des vrombissements ; des bourdonnements venus du ciel.
Toute une nuée de ces échos semblait se diriger vers les survivants.

Quelque chose frappa alors le lieutenant. Comme une lame, invisible, tranchant sa pensée et déchirant son esprit. Sa bouche se mit à trembloter, ses yeux s’agrandirent un peu plus.
Yuichi fut témoin de l’instant ; il aperçu son chef, réajustant sa casquette – déchirée - d’un geste machinal, pour ensuite se tourner vers lui.

«On doit partir, lâcha-t’il dans la précipitation, Suivez-moi.
Repli.
ON ME SUIT! REPLI DANS LA JUNGLE!
cria-t’il, tandis que les bruits de moteurs se rapprochaient d’eux.
il y a un mois