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La lumière du « L’Optimiste Durable » était d’un blanc bleuté, stérile, du genre qui vous fait sentir sale par simple contraste. En face de moi, Clara souriait. Un sourire parfaitement calibré, qui ne plissait pas trop les coins de ses yeux pour ne pas perturber les capteurs de micro-expressions de sa lentille.
« J’ai pris le steak de grillons panés, » dit-elle d’une voix enjouée, comme si elle annonçait une bonne nouvelle. « Leur empreinte carbone est négative ce mois-ci, tu te rends compte ? »
Je hochai la tête, essayant de produire une expression d’admiration sincère. L’interface dans mon champ de vision m’afficha une notification : [Analyse faciale : Taux de sincérité estimé à 47%. Recommandation : accentuer la courbure des lèvres.] J’obtempérai.
« Fascinant. Moi, je reste sur un classique, » dis-je en désignant le menu holographique flottant au-dessus de la table. « Le Cordon Bleu Tradition V2.7. Protéine de soja texturée, farce fromagère de synthèse… un goût d’enfance. »
Mon enfance n’avait pas le goût de la colle et du sel, mais c’était le genre de mensonge nostalgique qui fonctionnait bien en société.
Le repas arriva, porté par un drone silencieux. Mon Cordon Bleu avait la forme parfaite et dorée d’une chose qui n’avait jamais connu ni poulet, ni fromage, ni même l’ombre d’une poêle. Le steak de Clara ressemblait à une galette de terreau pressé. Elle planta sa fourchette dedans avec un enthousiasme qui me glaça le sang. Le crépitement était sinistre.
C’est à ce moment-là que je la vis.
Ou plutôt, que je ne la vis pas. Une silhouette, à une table près de la baie vitrée. Floue, grise, comme un fichier corrompu dans la réalité. Un parasite visuel qui absorbait la lumière. Un trou en forme de femme. Elle bougeait, sa tête se tournait, mais aucun détail n’était visible, juste un amas de bruit statique grisâtre. Un léger sifflement de blanc, à peine audible, crépitait dans mes implants auditifs quand mon regard s’attardait dessus.
Chloé. Je l’avais « bloquée » il y a six mois, après une rupture qui ressemblait plus à une désinstallation de programme qu’à une séparation. Depuis, elle n’existait plus pour moi. Visuellement, du moins. Son fantôme numérique, lui, était bien là, une tache grise dans mon panorama éternel. Impossible de l’enlever. Impossible de la voir. Juste ce vide perturbant.
« Tout va bien ? » demanda Clara, la bouche pleine de ce qui ressemblait à des pattes.
« Oui, oui. Une pub invasive. J’ai cru voir une offre pour des vacances sur les fermes-algues de la Baltique. »
Elle rit. Un rire net, validé par le système. « Ah, j’ai un bloqueur premium pour ça. Tu devrais mettre à jour ton abonnement citoyen. »
Bien sûr. Payer plus pour voir moins. Le progrès.
Je pris une photo de mon assiette. Un réflexe idiot hérité d’un autre temps. Avant de pouvoir la poster sur X, une fenêtre s’ouvrit devant mes yeux.
[Protocole de Protection de la Jeunesse - Vérification d'Identité Requise]
Veuillez placer votre pupille face au scanner. Prononcez la phrase : "La sécurité collective est la clé de la liberté individuelle."
Je soupirai, louchant légèrement pour aligner mon œil sur le réticule invisible. « La sécurité collective est la clé de la liberté individuelle, » marmonnai-je.
[Analyse vocale et micro-expressions... Identité confirmée. Vous pouvez poster.]
Clara me regardait avec une pointe de pitié. « Tu n’as toujours pas activé ta puce ? Ça fait la vérification en arrière-plan, c’est instantané. »
Je grattai nerveusement le dos de ma main droite, là où une minuscule cicatrice marquait l’emplacement de la puce RFID dormante. « J’aime bien prendre mon temps. Le contact humain avec l’administration, tout ça… »
Mensonge. La vérité, c’est que l’idée de fusionner mon système sanguin avec le système bancaire me donnait des sueurs froides. Une terreur primitive, irrationnelle et donc, profondément suspecte aux yeux du monde.
« J’ai pris le steak de grillons panés, » dit-elle d’une voix enjouée, comme si elle annonçait une bonne nouvelle. « Leur empreinte carbone est négative ce mois-ci, tu te rends compte ? »
Je hochai la tête, essayant de produire une expression d’admiration sincère. L’interface dans mon champ de vision m’afficha une notification : [Analyse faciale : Taux de sincérité estimé à 47%. Recommandation : accentuer la courbure des lèvres.] J’obtempérai.
« Fascinant. Moi, je reste sur un classique, » dis-je en désignant le menu holographique flottant au-dessus de la table. « Le Cordon Bleu Tradition V2.7. Protéine de soja texturée, farce fromagère de synthèse… un goût d’enfance. »
Mon enfance n’avait pas le goût de la colle et du sel, mais c’était le genre de mensonge nostalgique qui fonctionnait bien en société.
Le repas arriva, porté par un drone silencieux. Mon Cordon Bleu avait la forme parfaite et dorée d’une chose qui n’avait jamais connu ni poulet, ni fromage, ni même l’ombre d’une poêle. Le steak de Clara ressemblait à une galette de terreau pressé. Elle planta sa fourchette dedans avec un enthousiasme qui me glaça le sang. Le crépitement était sinistre.
C’est à ce moment-là que je la vis.
Ou plutôt, que je ne la vis pas. Une silhouette, à une table près de la baie vitrée. Floue, grise, comme un fichier corrompu dans la réalité. Un parasite visuel qui absorbait la lumière. Un trou en forme de femme. Elle bougeait, sa tête se tournait, mais aucun détail n’était visible, juste un amas de bruit statique grisâtre. Un léger sifflement de blanc, à peine audible, crépitait dans mes implants auditifs quand mon regard s’attardait dessus.
Chloé. Je l’avais « bloquée » il y a six mois, après une rupture qui ressemblait plus à une désinstallation de programme qu’à une séparation. Depuis, elle n’existait plus pour moi. Visuellement, du moins. Son fantôme numérique, lui, était bien là, une tache grise dans mon panorama éternel. Impossible de l’enlever. Impossible de la voir. Juste ce vide perturbant.
« Tout va bien ? » demanda Clara, la bouche pleine de ce qui ressemblait à des pattes.
« Oui, oui. Une pub invasive. J’ai cru voir une offre pour des vacances sur les fermes-algues de la Baltique. »
Elle rit. Un rire net, validé par le système. « Ah, j’ai un bloqueur premium pour ça. Tu devrais mettre à jour ton abonnement citoyen. »
Bien sûr. Payer plus pour voir moins. Le progrès.
Je pris une photo de mon assiette. Un réflexe idiot hérité d’un autre temps. Avant de pouvoir la poster sur X, une fenêtre s’ouvrit devant mes yeux.
[Protocole de Protection de la Jeunesse - Vérification d'Identité Requise]
Veuillez placer votre pupille face au scanner. Prononcez la phrase : "La sécurité collective est la clé de la liberté individuelle."
Je soupirai, louchant légèrement pour aligner mon œil sur le réticule invisible. « La sécurité collective est la clé de la liberté individuelle, » marmonnai-je.
[Analyse vocale et micro-expressions... Identité confirmée. Vous pouvez poster.]
Clara me regardait avec une pointe de pitié. « Tu n’as toujours pas activé ta puce ? Ça fait la vérification en arrière-plan, c’est instantané. »
Je grattai nerveusement le dos de ma main droite, là où une minuscule cicatrice marquait l’emplacement de la puce RFID dormante. « J’aime bien prendre mon temps. Le contact humain avec l’administration, tout ça… »
Mensonge. La vérité, c’est que l’idée de fusionner mon système sanguin avec le système bancaire me donnait des sueurs froides. Une terreur primitive, irrationnelle et donc, profondément suspecte aux yeux du monde.
yo
il y a 2 mois
Le repas se termina dans une conversation polie sur les mérites comparés des unités de crédit carbone et des potagers verticaux obligatoires. Puis le drone revint avec l’addition, un simple code QR projeté sur la table.
« Je t’invite, » dis-je avec un geste qui se voulait galant.
Je tendis ma main droite au-dessus du terminal de paiement intégré à la table. J’attendis. Rien.
Le terminal clignota en rouge. Un message s’afficha en surimpression dans ma vision, visible uniquement par moi : [Paiement refusé. Interface NFC/RFID non détectée. Citoyen non-conforme. Veuillez régulariser votre situation au Centre de Conformité le plus proche.]
Je tentai de masquer ma panique. « Ah, un bug. Encore. Cette technologie… »
Le regard de Clara devint aussi froid que la lumière du restaurant. Elle avait compris. Je n’étais pas juste un technophobe charmant et décalé. J’étais un retardataire. Un poids mort. Le mois dernier était le dernier où l’euro physique avait cours légal. Mon petit pécule d’antiquités en papier ne valait plus rien.
Sans un mot, elle tendit sa propre main au-dessus du terminal. Un bip doux et vert retentit. [Paiement accepté. Merci, Citoyenne Clara Martin. Vos points de fidélité durable ont été crédités.]
Le silence qui suivit fut pire que tout. Dehors, la pluie se mit à tomber. Des gouttes artificielles issues de l'ensemencement des nuages, programmées pour tomber entre 19h et 21h afin de ne pas perturber la logistique.
Clara se leva. « Je dois y aller. J’ai un cours de méditation de pleine conscience optimisée. »
Elle ne me proposa pas de me raccompagner. Elle ne me toucha pas. Elle se contenta de me regarder une dernière fois, comme on regarde un appareil obsolète avant de le jeter.
« C’était… instructif, » dit-elle.
Puis elle partit, sa silhouette nette et parfaite disparaissant dans la nuit réglementée.
Je restai seul à table. Mon Cordon Bleu à moitié mangé me narguait. De l’autre côté de la salle, le fantôme gris de Chloé se leva et quitta le restaurant, une absence qui laissait derrière elle un sillage de néant.
Je regardai ma main droite, cette main inutile, pleine de sang et d’os mais vide de données. Une relique.
Le futur n’était pas une promesse. C’était une mise à jour obligatoire que je venais de rater. Et je sentais, dans le froid qui s’insinuait en moi, que le service après-vente allait être un enfer.
« Je t’invite, » dis-je avec un geste qui se voulait galant.
Je tendis ma main droite au-dessus du terminal de paiement intégré à la table. J’attendis. Rien.
Le terminal clignota en rouge. Un message s’afficha en surimpression dans ma vision, visible uniquement par moi : [Paiement refusé. Interface NFC/RFID non détectée. Citoyen non-conforme. Veuillez régulariser votre situation au Centre de Conformité le plus proche.]
Je tentai de masquer ma panique. « Ah, un bug. Encore. Cette technologie… »
Le regard de Clara devint aussi froid que la lumière du restaurant. Elle avait compris. Je n’étais pas juste un technophobe charmant et décalé. J’étais un retardataire. Un poids mort. Le mois dernier était le dernier où l’euro physique avait cours légal. Mon petit pécule d’antiquités en papier ne valait plus rien.
Sans un mot, elle tendit sa propre main au-dessus du terminal. Un bip doux et vert retentit. [Paiement accepté. Merci, Citoyenne Clara Martin. Vos points de fidélité durable ont été crédités.]
Le silence qui suivit fut pire que tout. Dehors, la pluie se mit à tomber. Des gouttes artificielles issues de l'ensemencement des nuages, programmées pour tomber entre 19h et 21h afin de ne pas perturber la logistique.
Clara se leva. « Je dois y aller. J’ai un cours de méditation de pleine conscience optimisée. »
Elle ne me proposa pas de me raccompagner. Elle ne me toucha pas. Elle se contenta de me regarder une dernière fois, comme on regarde un appareil obsolète avant de le jeter.
« C’était… instructif, » dit-elle.
Puis elle partit, sa silhouette nette et parfaite disparaissant dans la nuit réglementée.
Je restai seul à table. Mon Cordon Bleu à moitié mangé me narguait. De l’autre côté de la salle, le fantôme gris de Chloé se leva et quitta le restaurant, une absence qui laissait derrière elle un sillage de néant.
Je regardai ma main droite, cette main inutile, pleine de sang et d’os mais vide de données. Une relique.
Le futur n’était pas une promesse. C’était une mise à jour obligatoire que je venais de rater. Et je sentais, dans le froid qui s’insinuait en moi, que le service après-vente allait être un enfer.
yo
il y a 2 mois