(Assis dans sa voiture sur le parking d’un Leroy Merlin. Il a une chemise bleue délavée, un jean qui baille, des cernes jusqu’au menton. Mâche nerveusement un chewing-gum. La voiture est une Peugeot 206, essuie-glaces tordus. Il regarde droit devant.)
Honnêtement… j’me considère comme chanceux.
Bon, la voiture a calé trois fois ce matin. Le voyant moteur clignote rouge depuis février, mais elle roule. Et tant qu’elle roule, c’est qu’elle est vivante. Un peu comme moi, tu vois.
La maison… c’est pas Versailles, mais c’est chez nous. Un petit pavillon des années 80, papier peint qui se décolle, chaudière qui tousse, et le voisin qui passe la débroussailleuse tous les dimanches à 7h. C’est la tranquillité à la française.
Deux enfants. De vrais miracles. Le petit veut devenir youtubeur alors qu’il sait pas écrire “bonjour”, et la grande passe ses journées à me dire que j’ai “raté ma vie” parce qu’on n’a pas Alexa. Mais bon… c’est l’amour, ça. C’est la jeunesse.
Ma femme ? Elle fait la gueule depuis Noël 2022, mais elle est là. Et ça, c’est beau. Parce que tu vois, dans ce monde d’égoïsmes, nous on reste. On tient. On se dit “bonne nuit” sans se regarder, mais on le dit.
Et puis j’ai un boulot. 1 300 euros par mois pour 42 heures. Chef me dit que j’suis un pilier. Bon, il dit ça à tout le monde, mais c’est pas rien. J’ai un casier dans la salle de pause, avec mon nom dessus. Ça, c’est une reconnaissance.
C’est pas comme ces jeunes qui veulent “se réaliser”, faire “un métier qui a du sens”. Moi j’en veux pas du sens. J’veux payer EDF et finir le mois sans taper dans le livret A. Enfin ce qu’il en reste.
On partira peut-être pas en vacances cette année. Enfin… on verra si on peut aller chez ma sœur en Corrèze. Y’a une piscine hors-sol, c’est déjà l’aventure.
Franchement… quand j’regarde autour, j’me dis qu’on est pas si mal. On mange. On survit. On rigole parfois.
On fait partie des chanceux.
