Ce sujet a été résolu
Je poursuis ma découverte du plus sublime des auteurs de la Provence : Jean Giono. Il a une trilogie sur des hameaux. J'avais déjà lu Regain et me voilà avec Colline.
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
il y a 17 heures
Jean Giono est une des plus belles plumes de l'histoire de France.
Lis l'homme qui plantait des arbres et le poids du ciel
Lis l'homme qui plantait des arbres et le poids du ciel
il y a 17 heures
Proutojine-
17h
Jean Giono est une des plus belles plumes de l'histoire de France.
Lis l'homme qui plantait des arbres et le poids du ciel
Lis l'homme qui plantait des arbres et le poids du ciel
C'est prévu, je lirai tout Giono dans ma vie
il y a 17 heures
Je poursuis ma découverte du plus sublime des auteurs de la Provence : Jean Giono. Il a une trilogie sur des hameaux. J'avais déjà lu Regain et me voilà avec Colline.
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
Ça m'a donné envie, on m'avait déjà conseillé l'homme qui plantait des abres que je comptais lire bientôt, on verra si j'enchaîne sur cette trilogie
il y a 16 heures
"L'orage qui bouchait les défilés du fleuve s'est levé. Comme un taureau fouetté d'herbes, il s'est arraché à la boue des plaines ; son dos musculeux s'est gonflé ; puis il a sauté les collines, et il s'est mis en marche dans le ciel."
il y a 16 heures
Ça m'a donné envie, on m'avait déjà conseillé l'homme qui plantait des abres que je comptais lire bientôt, on verra si j'enchaîne sur cette trilogie
Je dois le lire lui aussi. Giono putain sérieux quoi quel génie, le mec déçoit jamais, il enterre Pagnol
il y a 8 heures
Je poursuis ma découverte du plus sublime des auteurs de la Provence : Jean Giono. Il a une trilogie sur des hameaux. J'avais déjà lu Regain et me voilà avec Colline.
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
Interesting
il y a 8 heures
Je poursuis ma découverte du plus sublime des auteurs de la Provence : Jean Giono. Il a une trilogie sur des hameaux. J'avais déjà lu Regain et me voilà avec Colline.
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
CONTEXTE
Colline est un roman étrange. Peut-être que jamais personne n'avait autant parlé de la nature dans un roman. C'est presque un roman sur la nature. Elle est omniprésente. Il y a quatre familles qui occupent un hameau en lambeaux sur les hauteurs de la Lure, et ils vivent paisiblement de chasse, de cueillette et de récolte. Parfois, on mange de bons bouillons, d'autres fois, on croque dans un ognon. La vie est frugale, mais douce et tranquille. Un jour, le vieux du hameau devient fou, il a des visions hallucinées, puis une série de malheurs s'abattent sur le hameau : tarissement de la fontaine, maladie d'une fille, présence d'un chat noir, incendie.
Et écoutez, Giono avait déjà tout dit lors du passage de la fontaine qui se tarit. C'est parfaitement sublime. Tout commence par une sourde angoisse. Les hommes ne se sentent plus à l'aise, comme si un esprit habitait les lieux. Quelque chose se passe, quelque chose est dans l'air et leur serre la gorge. Ce mal-être monte durant des jours, sans raison apparente. Puis, soudainement, Giono claque son premier malheur. Sublime.
" C'est le silence qui les réveille. Un silence étrange. Plus profond que d'habitude ; plus silencieux que les silences auxquels ils sont habitués. Quelque chose s'en est allé, il y a une place vide dans l'air. "
Jamais un silence ne m'avait autant claqué à la gueule. Et quelle merveilleuse manière d'introduire le tarissement de la fontaine. Ils ne le voient pas, ils ne le constatent pas, non, c'est d'abord comme une absence dans la musique de la colline.
Les hommes vont lutter contre des fléaux de plus en plus rudes jusqu'à finir dans le registre de l'épique avec cette lutte absurde contre un incendie gigantesque.
LA COLLINE
Alors d'où viennent ces fléaux et finalement, quel est l'intérêt de cette succession de malheurs ? Si vous connaissez la nature, la réponse ne vous étonnera pas. Tout cela vient de la colline, dont la géographie oppose une force à ceux qui l'habitent. La colline menace, la colline tue, le relief est presque quelque chose de vivant par rapport à la morte plaine. Et chaque malheur fait avancer la compréhension des personnages envers la nature de la montagne. Au début, le paysage n'est qu'un décor comme un autre, simplement là, au fond. Mais petit à petit, les habitants se rendent compte que la colline n'est pas seulement une colline, mais une force, qu'elle existe, remue, soupire.
" Tu crois que c'est vide, l'air ? Alors comme ça tu crois que l'air c'est tout vide ? Alors, là il y a une maison, là un arbre, là une colline, et autour, tu t'imagines que c'est tout vide ? Tu crois que la maison c'est la maison et pas plus ? La colline, une colline et pas plus ? Je te croyais pas si couillon. "
" Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et d'un sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit. "
Cette colline, ils vont tour à tour la dominer, la craindre, la haïr, lutter contre elle, et de nouveau la dominer, comme un cycle naturel où l'homme et la montagne se font face. Il n'y a pas d'harmonie avec la nature. Ca n'existe pas. La nature est une force qui s'oppose à toi et qui veut te tuer. Un éboulement, une avalanche, un lit qui déborde, il faut continuellement lutter contre ces fléaux naturels. et ça force le respect. Il faut l'aimer, cette nature. La dominer, certes, mais ne pas la contrôler, ne pas en faire une esclave ou un décor indifférent. Cette attitude ne peut être que être que temporaire.
La fin du roman ressemble au début, à la différence que les hommes en dominant la nature, garde une conscience brûlante de cette dernière. Maintenant, ils savent qu'elle est habitée par des forces mystérieuses et hostiles. Ils connaissent la splendeur de la colline.
LE STYLE
Je dois également parler de la splendeur du style de Giono. Il n'a peut-être jamais été aussi splendide. Il écrit avec les roches, les plantes lui servent d'encre. Son langage est végétal. On retrouve grâce à lui une forme de symbiose entre l'homme et la nature. Pas une harmonie, parce que ça lutte. Mais l'homme est réintégré dans un système naturel auprès des arbres, des plantes et des autres êtres vivants.
Giono utilise souvent des analogies organiques :
" Bebette, c'est deux yeux ronds, fous, et une bouche noire comme un trou de source et d'où, sans arrêt, coule la plainte "
" On me laisse seul tout le temps. Je peux pas parler, ça s'accumule en moi, ça pèse sur les os. Il en coule bien un peu par les yeux, mais les gros morceaux, ça peut pas passer, ça reste dans la tête. "
Avec également du parler vivant du terroir :
" C'étaient des fumelles, une avait le cul comme une meule de paille et la poitrine comme une tire-vin ; a se tortillait que ses longs nichons en claquaient pire que des banderoles, et flic et floc, et je t'en fous... "
Et voici comment résumer le renversement qui s'opère dans le livre :
" Ce n'est plus seulement l'homme et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en-dessous, l'homme mêlée aux bêtes et aux arbres "
Car c'est bien un grand roman d'humilité, finalement. Peut-être le meilleur de Giono car jamais aucun bouquin ne m'avait fait ressentir le sentiment d'être face à la nature avec une telle intensité. J'ai lu Pagnol, Daudet, Krakouer, London, des récits de voyages, d'autres Giono, les romantiques, les alpinistes, les aventuriers, mais personne ne m'avait rendu la nature aussi présente, aussi forte à l'esprit. La colline me hante exactement à la manière qu'elle me hante lorsque je m'y rends en solitaire durant des mois. C'est la première fois que quelqu'un met le doigt aussi profondément sur la force mystérieuse qu'elle recèle
@ceinturion @glock @esclavotaf @bouclador @albinus @palance
Je connais juste le film "Cresus" de Giono, avec Fernandel, très fort, la Provence est âpre, les gens endurcis, une belle histoire
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il y a 8 heures























